La part de l'ombre

« Il y a en nous quelque chose de sombre qui rend plus lumineuse la vie » dit le poète et cinéaste Pasolini. Mais que voit-on de l'ombre?

Quand grandit la part de l'ombre, l'imagination règne en maître et la raison, naufragée, s'efface. De cette plongée dans les profondeurs, certains artistes font surgir des êtres effrayants et fascinants. Dans la célèbre gravure de Goya, jaillissent des monstres engendrés par le sommeil de la raison. Ces monstres exorcisent nos angoisses et cette catharsis, paradoxalement, nous rassure et nous comble. Car cette part d'ombre est lucidité, et cette lumière intérieure, pourtant noire, nous aide à affronter le sentiment tragique de notre finitude. Ainsi seront présentées les œuvres d'Isabelle Vialle, Hans Jorgensen, Christophe Biskup et Jean-Marie Cartereau. Chacune à sa manière, partage notre inquiétude pour la mieux tenir à distance et ainsi nous rendre plus forts.

 

 

 

Isabelle Vialle

  La peinture d'isabelle Vialle a rencontré la poésie d'Yves Bonnefoy. La série des « Douves » ( réalisée en 2014 pendant son séjour en Grèce) se réfère au recueil « Du mouvement et de l'immobilité de Douve ». La femme aimée et disparue, invoquée par le poète, est une créature multiforme et virtuelle, entre présence et effacement. « Sa robe a la couleur de l'absence des morts » dit il. Isabelle Vialle s'en saisit comme d'une ombre fugitive. L'ultime apparition d'une parure fluide est saisie dans la matière picturale en une savante harmonie de tonalités sépulcrales. Son immobilité solennelle se trame avec de mystérieuses mouvances, d'inquiétantes métamorphoses, où paradoxalement l'ombre délivre de l'angoisse. L'artiste s'est abreuvée à la source lumineuse des oliviers grecs multicentenaires. Elle en a métamorphosé la structure expressive pour en faire jaillir ces somptueuses parures.

 

Hans Jorgensen

 

Hans Jorgensen, Cavalier, 60x46cm, 2011

« L'être humain a aussi quelque chose d'effrayant », dit Hans Jorgensen.

De quel monde infernal surgissent en de douloureuses présences ces êtres ambigus? Taillés directement dans des pièces d'arbres, ils ont conservé la vigueur de la sève, pour invoquer une assemblée de pantins-marionnettes-mannequins dépenaillés, nos doubles hurlant à vif. Un cerbère semble jalousement les séquestrer, mais ils s'échappent et viennent hanter nos consciences de leurs transes immobiles. Hans Jorgensen invoque des mythes de toutes les cultures qui plongent leurs racines dans l'universelle angoisse de notre finitude. Romantisme noir, légendes nordiques, sens du tragique espagnol s'entremêlent dans ces corps et figures de fiers cavaliers, comme les signes d'un pouvoir malmené et désarçonné. Sont ils Don Quichotte en déshérence, ou annonciateurs d'une Apocalypse déjà survenue? Pourtant, une énergie sauvage habite ces sculptures. Elles envahissent notre imaginaire de leur extraordinaire présence et de leur inquiétante étrangeté. Elles sont en miroir, l'ombre qui nous habite.

 

Christophe Biskup

Christophe Biskup, fusain sur papier, 100x70cm, 2014

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Chez Christophe Biskup, déjà présenté à la galerie en 2014, la part de l'ombre ne vient pas de créatures étranges, mais de l'atmosphère de ses dessins. Biskup évoque des paysages nocturnes. Ils naissent lentement des taches et traces d'ombre qui pénètrent sous ses doigts la surface du papier préalablement et lentement «préparée» en un cérémonial qui se répète de dessin en dessin. Émergent alors de romantiques Nocturnes, paysages où l'ombre gagne et efface les contours de nos certitudes. Le proche et le lointain s'abolissent dans la clarté lunaire. Terres et eaux se mêlent et se perdent dans la brume. Le dépaysement est absolu. De la non intentionnalité originelle naissent paradoxalement des rémanences de sensations par nous déjà vécues à la tombée de quelque jour. Flotte dans l'air une légère inquiétude. La part de l'ombre est souveraine.

Jean-Marie Cartereau

 

JM Cartereau , dessin, série Les racines des ombres , 28x33cm, 2014.

 

Jean-Marie Cartereau (lui aussi déjà présenté dans l'exposition  Le Dessin), se meut en ce territoire d' «inquiétante étrangeté» cher à Freud et aux surréalistes. Ses dessins, comme nos nuits, communiquent avec notre part d'ombre pour s'épanouir dans les mangroves de l'imaginaire, cet entre-deux de tous les règnes. L'humain, l'animal, le végétal, le minéral forment de multiples hybridations, faisant voler en éclats toute tentative de classification. Entre chair et os, fluide et solide, vie et mort, comme entre chien et loup, le monde de Jean-Marie Cartereau évolue dans un intense bouillonnement. Mais l'extrême précision du dessin, la finesse de son organisation donnent une acuité fascinante à cet apparent chaos. Notre part d'ombre s'y nourrit avec délectation.

 

 Biographies

 Hans Jorgensen

Diplômé des Beaux arts de Copenhague en 1976.

Se consacre à la peinture et séjourne plusieurs années au Maroc et en Espagne où il réalise de nombreuses expositions.

Se fixe définitivement en France en 1990, il délaisse la peinture et se tourne vers la sculpture.

Expose dans de nombreuses galeries , en France , en Allemagne , en Belgique etc. dont récemment :

2014 Galerie l’âne bleu Marciac - Galerie J.Marc Laik Koblenz Allemagne

2013 Centre Culturel Louftemont ( Belgique) exposition collective organisée par la galerie La Louve. - Galerie Jakez, Pont-Avenn - Galerie Egregore, Marmande -  

Oeuvres en permanence Galerie Art Aujourd’hui.

 

Isabelle Vialle

 Née à Paris en 1970, licenciée en Arts-Plastiques à Rennes II,

Après une formation en cinéma d’animation et un passage professionnel dans le graphisme, c’est au cours d’une résidence de 3 ans au centre d’art contemporain « Gingko » à Troyes qu’Isabelle VIALLE se consacre entièrement à la peinture.

2008 : à Roubaix dans les ateliers d’artistes de l’ancienne usine « chez Rita » où elle reste 5 ans.

Actuellement, vit et travaille à Thessalonique en Grèce, où elle a exposé dernièrement à l’Institut français de Thessalonique et au musée des arts visuels d’Heraklion.

Œuvres en permanence à la galerie ART aujourd'hui. Exposition « Eloge du petit format » déc 2013-février2014)

 

Christophe Biskup

 Né en 1960 en Pologne, il vit et travaille à Paris depuis 2002. Œuvres en permanence Galerie ART aujourd'hui depuis 2013.

Peintre, dessinateur, depuis plusieurs années il s'est recentré sur le dessin pour explorer tous les moyens d'expression que lui donne le fusain et le papier qu'il travaille avant de commencer à dessiner.

Si l'on devait définir sa création d' un seul mot, ce serait le toucher. Il écarte le superflu, limite ses traits pour ne laisser que la quintessence et n'entendre que la musique pénétrante du silence. 

 

Jean-Marie Cartereau

Né le 3 septembre 1961 en Algérie, vit et travaille à Toulon.
En 1983 une bourse lui permet d'effectuer un stage au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris, déterminant pour les orientations futures de sa démarche plastique avec le travail sur le vivant et l'artificiel. Expose régulièrement en France: Marseille, Biarritz, Montauban (Musée Ingres), Paris, et à l'étranger: Pays-Bas , Québec, Allemagne, Portugal, Belgique (Linéart,Gand). Présent dans les collections privées et Publiques (Marseille – Toulon - Aix- en- Provence - La Seyne/Mer - Mié, Japon - Red Fox Press, Irlande). Œuvres en permanence galerie ART aujourd'hui.

- Vidéo de l'exposition au soir du vernissage, cliquer ici

- Images de l'exposition réalisées par Isabelle Vialle et Antoine Monmarché avant et pendant le vernissage